Ce lundi, la flotte des concurrents de la catégorie Rhum Mono est toujours très étirée, du nord au sud mais surtout d’ouest en est, avec près de 1.300 milles d’écart en longitude entre le leader Jean-Pierre Dick (Notre Méditerranée – Ville de Nice) et le dernier, Jean-Sébastien Biard (JSB Déménagements). En Rhum Multi, Gilles Buekenhout (Jess), toujours en tête, est enfin passé ce matin sous la barre des 1000 milles avant l’arrivée à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) !
En Mono comme en Multi, les concurrents les plus au nord naviguent toujours assez proches de la dorsale ce lundi à la mi-journée et touchent un vent de 2 à 3 nœuds inférieurs à celui des sudistes tels que Philippe Poupon (Flo). Cet axe de hautes pressions va avoir tendance à descendre vers les prochaines 48 heures selon les prévisionnistes de Météo Consult, mais pas suffisamment pour influer sur le classement : les nordistes, plus proches de la route directe, et bénéficiant toujours d’un meilleur angle, ne devraient pas perdre trop de terrain par rapport aux sudistes qui marchent un peu mieux. De leur côté, les plus à l’ouest comme Gilles Buekenhout (JESS) et Jean-Pierre Dick (Notre Méditerranée - Ville de Nice) ont toujours un vent instable en force et en direction. Malgré tout, ils bénéficient d’un matelas relativement conséquent et, sauf avarie, devraient réussir à conserver leur leadership. Les écarts pourraient par contre se resserrer par l’arrière à la faveur de la gestion des grains et de la fatigue qui ne manque pas de s’accumuler après déjà 12 jours de course. Autre paramètre à entrer dans l’équation : l’alizé modéré à assez fort, accompagné de grains fréquents, beaucoup plus forts à l’approche de l’arc antillais. La mer devient elle aussi un peu plus forte, avec des vagues de 2 à 2,5 mètres. On l’aura compris, la vigilance est et sera toujours de mise jusqu’à l’arrivée pour choisir les meilleures options dans la gestion des grains orageux.
La barre des 1000 milles avant l’arrivée est enfin franchie pour les premiers de la catégorie Rhum Multi, toujours emmenés par Gilles Buekenhout. Positionné le plus proche de l’orthodromie, le Belge compte 112,5 milles d’avance sur Roland Jourdain (We Explore). «J’ai perdu un peu par rapport à mes petits camarades qui sont un peu plus à l’est mais j’essaie de me recaler pour naviguer le mieux possible. Je suis en train de faire un petit contre bord pour avoir un meilleur angle parce que je pense que je n’ai pas tout à fait le même vent qu’eux», analysait ce matin le skipper de Jess joint à la vacation. Sa grande satisfaction du jour : être passé sous la barre de 1000 milles qui le sépare de la ligne de l’arrivée. «Ça fait plaisir ! On a passé les deux-tiers de la course. On se retrouve dans des alizés un peu disparates par moment, avec parfois 9 nœuds de vent, parfois 18. C’est très aléatoire mais je n’ai pas eu encore de gros grains avec des averses. J’ai hâte d’arriver», ajoutait celui qui fait depuis le début une course exemplaire.
Toujours en tête du petit groupe de poursuivants devant Loïc Escoffier (Lodigroup), Marc Guillemot (Metarom MG5) et Halvard Mabire (GDD), Roland Jourdain se réjouit lui aussi d’être passé sous cette barre symbolique de derniers 1000 milles. «Les jours sont plus longs sur la fin, quelque que soit la durée de la course. A mon heureuse surprise, mes poursuivants ne me rattrapent pas encore. Je pense que c’est à cause des conditions qui restent compliquées. Il n’y a pas encore de quoi faire de la glisse pure et, grâce à la longueur de We Explore, je garde un avantage. J’essaie de ne pas leur faire de cadeaux», écrivait-il ce matin. Avant d’ajouter : «J’ai gardé le spi très longtemps hier, à la limite du raisonnable. Je ne mollis pas mais j’essaie aussi de ne pas faire de bêtises. J’étais heureux de voir ce grand spi en l’air. C’est un spi que j’avais lors de mon dernier Vendée Globe, c’est quand même marrant de le revoir aujourd’hui. Vive le re-use. Tout fonctionne bien à bord de We Explore à part les communications ! J’ai un enchaînement de pépins qui rendent les choses très compliquées. Je suis un peu coupé du monde et ça n’est pas si désagréable dans le monde aujourd’hui ! C’est sympa d’être sur son bateau, sur son petit océan». Si la performance sportive n’est pas le premier objectif de We Explore, « Bilou » ne boude pas son plaisir. «_ Il reste 1000 milles et il peut se passer plein de choses. Loïc a de grandes chances de revenir, mais je suis heureux d’être à cette place. Il ne faut pas bouder son plaisir !_»
En Rhum Mono, Jean Pierre Dick (Notre Méditerranée - Ville de Nice), toujours le plus proche de l’orthodromie, était encore quant à lui à 1149,3 milles de l’arrivée et progressait à 13,4 nœuds. Calé le plus à l’est de la flotte, Fabio Gennari (Bella Donna – Race For Pure Ocean), 9ème, n’avançait quant à lui qu’à 5,6 nœuds. «J’ai un vent qui est assez irrégulier surtout que là, je suis toujours sous l’influence des dévents des Canaries donc il y a des passages très ventés, d’autres beaucoup moins. Je suis sur la fin de ces dévents qui font un très long couloir. Dans l’ensemble, les conditions de navigation sont bonnes », indiquait le skipper trentenaire à la vacation du jour. « J’entre dans un régime d’alizés même si ce n’est pas super établi non plus. J’ai un vent très changeant, sans même parler des grains».
**Ils ont dit : **
Fabrice Payen (Ille-et-Vilaine Cap vers l’inclusion): «Nuit ventée, elle était prévue. J'ai réduit fortement la toile hier avant la nuit dans 30 nœuds de vent et une mer formée. J’en avais marre de serrer les fesses à chaque surf et de me demander si j'allais planter dans la vague précédente que je rattrapais. La nuit a tenu ses promesses avec ses rafales régulières au-dessus de 35 nœuds, je m'en suis remis au pilote automatique et suis allé me coucher. Je n'avais rien d'autre à faire : le poste de barre sur ce bateau est un non-sens, exposé en permanence aux explosions de vagues sur la coque et les bras de liaisons, vive les années 1980 ! Grosse frayeur ce matin en renvoyant la toile, la centrale électronique se met en panne, plus d'informations de vent, le pilote automatique est perdu et si j'empanne involontairement c'est la cata ! Je préviens la direction de course et mon routeur histoire de n'inquiéter personne, que je mets le bateau à la cape (stabilisé à l'arrêt pour qu'il dérive dans le sens du vent) afin de trouver une solution. Longs échanges téléphoniques avec Xavier de NKE qui nous a déjà sauvé en début de cours et qui me fait faire des manipulations, passer un instrument mettre l'autre en esclave (j'ai le sentiment d'être de retour sur les bancs de la fac avec Hegel ! Des déconnexions, reconnexions, rien ne marche, c'est pire encore... jusqu'à ce qu'il identifie l'appareil suspect qui met tous les autres en erreur, celui-là on le neutralise et c'est reparti ! Merci Xavier !!!!Rien de plus stressant que d'être dépendant d'un outil qu'on ne maîtrise pas…Je me demande parfois ce que je fais là, pourquoi je m'impose ça, chaque fois je me dis que c'est mon histoire, je n'ai pas trouvé de scénario différent ou les autres scénarii ne me convenaient pas, ce projet me dépasse maintenant, j'embarque beaucoup de monde dans cette aventure et ce sont les valeurs portées qui importent...»
Halvard Mabire (GDD): «C'est vraiment dommage que parfois, les réalités de la course viennent gâcher ce qui s'annonce comme une très belle journée, avec, enfin, un paysage qui commence à ressembler à ce qui s'apparente à des Alizés. Mais voilà, il y a le cours des positions, probablement aussi stressant que le cours de la Bourse pour le mec qui avait placé en son temps toutes ses économies chez Madoff.
Le constat est là, GDD a bien du mal depuis que le portant dans la brise s'est installé. J'ai beau tout essayer, impossible de faire décoller le bateau, ou alors pas sans prendre des risques complètement inconsidérés. Comme par exemple envoyer le spi de tête par 25 nœuds de vent. Je risquerais de finir en figure libre vu l'état de la mer, genre saut périlleux ou salto, et me retrouver sur le toit, ce qui ne serait pas très malin, le but premier étant tout de même d'amener le bateau en bon état en Guadeloupe. Aussi, accessoirement, le bateau n'est pas assuré en dommages et, de par une expression bizarre et totalement incongrue, le fait de tout laisser à l'eau entraînerait une perte sèche. D'autre part, je ne suis pas certain que la tête de mât, à partir du moment où la grand-voile est arrisée, puisse supporter la traction du spi, surtout avec les à-coups de la mer désordonnée, étant donné que le bateau a été conçu pour ne porter en tête de mât que des voiles de portant légères. Aussi, je dois reconnaître que je me suis probablement planté dans la garde-robe du bateau. Nous avons fait beaucoup de milles avec le bateau avant cette Route du Rhum, dont la Transat du RORC où nous avions constaté un sérieux déficit de vitesse au portant. Mais les spis que nous avions étaient bien peu adaptés au large et nous avions incriminé notre déficit de vitesse essentiellement sur cette cause. Plus un pilote qui n'était pas encore bien opérationnel et qui faisait zigzaguer le bateau comme un poivrot sortant du bistrot. Ce qui n'est plus le cas maintenant, notre pilote donnant jusqu'à maintenant toute satisfaction (on touche du bois pour que ce soit comme ça jusqu'à la fin). Nous avons corrigé le tir avec un spi de tête qui s'avère très stable et très efficace, mais pour une plage de vent inférieure à ce que nous avons en ce moment. Pour la brise j'avais misé sur un grand gennaker de capelage, beaucoup plus maniable en solitaire, car c'est une voile enroulable. Mais voilà, autant dans certaines plages de vents cette voile est redoutable, autant elle s'avère par contre décevante au portant VMG dans la brise (quand on essaye de descendre au maximum pour se rapprocher du vent arrière). Et impossible de lofer pour essayer de gagner en vitesse en utilisant mieux cette voile dans son "range" car la mer nous secoue trop et nous ralenti trop, et c'est encore en essayant de composer avec les vagues et en glissant tant qu'on peut que l'on a le meilleur compromis vitesse, cap où on veut aller (CMG dans le langage ésotérique des "pros" - Course Made Good). Il faut dire que parmi les nombreux milles que nous avons fait avec GDD avant de prendre le départ du Rhum, environ 16.000 milles, il nous a manqué la confrontation directe et la proximité avec nos futurs adversaires, comme pendant la DRHeam Cup par exemple. Ce qui permet de s'étalonner avec les autres bateaux et ce qui met de suite en évidence des lacunes éventuelles de garde-robe. En effet, comme chacun teste différentes solutions de combinaisons de voiles, cela permet d'observer tout de suite in situ ce qui fonctionne, ou pas. Il n'y a pas à dire, la meilleure préparation à la course, ça reste de faire des courses. Même si par ailleurs les nombreux milles permettent de bien maîtriser le bateau et d'en apprécier ses limites, ainsi que de parfaitement rôder les manœuvres et les automatismes, tant qu'il n'y a pas de confrontation directe, on ne sait pas trop où on en est. Remarque, parfois ça vaut mieux, comme ça on ne se prend pas le chou dès le départ sur ses défaillances de potentiel. Donc à l'instant où je vous écris, j'ai quand même le sentiment qu'un petit spi de capelage, pas trop lourd pour rester manipulable (pas comme le spi de capelage que l'on a laissé dans le container), et sur le même moule que notre spi de tête, nous manque plus que cruellement. Mais finalement c'est une bonne leçon, et technique et de vie. Si on veut faire de la course, il faut faire des courses ! Et enfin, dans la vie on ne peut pas tout avoir, donc il faut s'habituer à ce qu'il manque toujours quelque chose, sous peine d'en tirer une frustration invivable. Ce qui serait tout de même le comble de l'incongru quand je réalise la chance d'être là où je suis tout de suite ! Ce serait quand même sacrément bégueule et impoli de jouer les Calimeros frustrés. Du foutage de gueule vis à vis de tous ceux qui sont dans le froid et qui nous suivent. Tellement de gens aimeraient être à ma place, même avec un caleçon en guise de spi, que je ne vais pas jouer les difficiles. A bientôt (peut-être un peu plus tard, du coup). Halvard Mabire - GDD - Beau temps, belle mer.»
Daniel Ecalard (SOS Pare-Brise +): “Aujourd’hui, repas en terrasse sur le pont, pâtes au saumon sous le soleil, tout va mieux. On pourrait presque oublier les galères des derniers jours. Et c’est l’occasion de sortir tout ce qui est mouillé : t-shirts, cirés, duvet…, bref, profiter du soleil pour rendre l’intérieur du bateau un peu plus vivable. Ça fait vraiment du bien de passer à des allures où le bateau ne tape plus le sentir glisser sous les vagues et le voir accélérer. C'est top , j' ai même barré 4 heures alors que mon pilote fonctionne bien, d'accord en mode dégradé sans télécommande et sans mode vent, mais ça marche et j’ai attaqué quelques belles siestes où tu ne sais plus si tu dors éveillé si tu es éveillé en dormant en mode primaire, et où tu manges sans heure juste quand tu as faim .... Le goût de faire marcher le bateau à fond est revenu en route pour le sud-ouest. Daniel Ecalard.”